Equipes et confiance
La notion de confiance est au cœur de l’équipe. C’est le moteur de sa performance. Pour la faire naître, il est essentiel d’interagir en communiquant avec authenticité, avec interagissant empathie et en développant une vision commune.
Photo: Zacarias Da Silva, DGE
Dans son essai La confiance en soi, Ralph Waldo Emerson (1803-1882) écrivait que le trajet du meilleur des navires n’est qu’une ligne brisée formée de centaines de bords. Par beau comme par gros temps, le destin de l’équipage repose en particulier sur la confiance que ses membres se font mutuellement au fil des décisions à prendre pour tenir leur cap.
Mais qu’est-ce que la confiance et comment la cultiver en tant que cadre ? Karen Cook, Russell Hardin et Margaret Lévi (2007) proposent une définition relationnelle de la confiance qui existe lorsqu'une partie à la relation estime que l'autre partie est incitée à agir dans son intérêt ou à prendre son intérêt à cœur. Cette définition comprend la notion d’interdépendance entre les parties, les membres d’une équipe, et la nécessité pour eux de bien se connaître, et donc d’y consacrer du temps.
Le temps nécessaire à la maturation d’une équipe est précisément au centre du modèle classique de Bruce Tuckman (1965), qui distingue quatre stades qui vont de la formation de l’équipe, auquel les membres prennent contact et commencent à développer leur projet, au stade exécutif ultime d’un projet, au cours duquel le groupe développe un but commun et devient hautement efficace et coopératif. Or, le troisième stade, celui de la normalisation, est celui au cours duquel se développe la confiance. La plupart des modèles de leadership placent d’ailleurs la confiance parmi les facteurs décisifs d’un bon fonctionnement collectif (Gibb, 1978 ; Lombardo et Eichinger, 1995 ; Costa, Roe & Taillieu, 2001 ; Lencioni, 2002 ; Frei et Morriss, 2020 ; Dirks & de Jong, 2022).
Frei et Morriss (2020) proposent un modèle pour instaurer la confiance, basé sur trois pôles : l’authenticité, l’empathie et la compétence. Ce triangle de la confiance a le mérite d’une certaine simplicité : les gens ont tendance à vous faire confiance lorsqu'ils pensent qu'ils interagissent avec le vrai vous (authenticité), lorsqu'ils pensent que vous vous souciez d'eux (empathie) et lorsqu'ils ont confiance en votre avis (compétence).
En fonction de notre propre expérience de la conduite et de l’encadrement, et avec l’inspiration suscitée par différentes citations classiques sur la confiance, nous avons développé une proposition de bonnes pratiques pour générer de la confiance au sein d’une équipe. Voici la version graphique de cette proposition, qui en montre les affinités avec le triangle de la confiance.
Il s’agit de sept bonnes pratiques, qui sont toutes confirmées par la recherche. Nous l'avons aussi déclinée sous la forme d'une fiche pratique qui peut être téléchargée => ici.
Partager du temps ensemble pour mieux se connaître. Se rendre disponible, en marge du travail, pour dévoiler ses passions et ses vulnérabilités, montrer aux autres membres de l’équipe qui nous sommes vraiment. La recherche le confirme : les équipes performantes tendent à passer du temps à échanger sur des sujets qui ne sont pas liés au travail et ainsi à renforcer leurs liens interpersonnels, en partageant leurs émotions tant positives que négatives (Zak, 2017 ; Friedman, 2021).
Communiquer avec authenticité. S’exprimer en distinguant les faits que l’on perçoit, les sentiments et les émotions qu’ils inspirent, les besoins que cela suscite pour exprimer sa demande envers l’autre. Il s’agit ici notamment des principes d’une communication bienveillante inspirée de Marshall Rosenberg (2003). Communiquer ainsi permet de s’exprimer sans faire ressentir à l’autre la « critique qui braque » et renforce la sincérité qui fonde la confiance (Feltman, 2009).
Veiller au respect et à l’équité. Respect et équité contribuent à la sécurité psychologique au sein des équipes de travail, favorisant un lieu de travail plus positif, plus ouvert d'esprit et plus performant (Edmondson & Bransby, 2023) et de ce fait la confiance (Wietrak & Gifford, 2024). Il a par ailleurs été démontré que tous les comportements et pratiques qui contribuent à une forme de justice organisationnelle renforcent la confiance au sein d’une équipe (Dirks & de Jong, 2022).
Prendre le temps de l’écoute active, qui est source d’empathie. Accorder du temps à l’écoute des membres de l’équipe, en organisant à la fois des séances bilatérales et des séances d’équipe. Notre pratique nous a en effet montré qu’il est indispensable d’avoir les deux types de séance avec une équipe pour consolider la confiance. Développer son attention à l’autre est considéré par Feltman (2009) et Frei et Morriss (2020) comme un des facteurs les plus importants d’une relation de confiance.
Partager les informations avec transparence. Un partage large et régulier des informations est un autre facteur démontré de la consolidation de la confiance au sein d’une équipe (Gibb, 1978 ; Zak, 2017). En outre, davantage de transparence ne favorise pas seulement la confiance, mais stimule aussi la créativité, la performance et la rentabilité (Friedman, 2024).
Développer une vision commune et tendre vers un futur attractif. C’est une pratique importante à plusieurs titres. Elle permet aux membres de l’équipe comme au leadership d’exprimer leur compétence (Feltman, 2009 ; Frei et Morriss, 2020), de proposer un objectif à l’équipe (Gibb, 1978) et d’induire des défis qu’elle peut relever (Zak, 2017).
Donner du feedback, direct et bienveillant. La reconnaissance de l’atteinte d’objectifs, sans délai, a un effet considérable sur la confiance au sein de l’équipe (Zak, 2017). Il en va de même du fait de donner et recevoir régulièrement de la reconnaissance, non-seulement de la part de la hiérarchie envers les membres de l’équipe mais aussi entre ces derniers (Friedman, 2021). A noter qu’il est ici question du feedback de reconnaissance, qui se distingue du feedback évaluatif ou de celui qui exprime un ressenti, et qu’il est utile, au sein d’une équipe, de bien différencier (Neet, 2024).
La notion de confiance est multifactorielle et donne lieu à une tout une typologie quant à ses formes (Barends, Wietrak & Rousseau, 2024). La littérature scientifique à son sujet est tout à fait considérable, même sur des thèmes précis comme la confiance au sein des équipes sur le lieu de travail (dos Santos Vieira et al. 2021 ; Dirks & de Jong, 2022).
Les propositions de bonnes pratiques qui précèdent n’ont donc d’autre but que d’offrir un outil et un point de départ à celles et ceux qui ont à conduire une équipe. Ce modèle est donc perfectible et certainement pas exhaustif s’agissant des bonnes pratiques pour générer de la confiance au sein d’une équipe.
C’est donc en toute humilité que nous proposons cet outil, la même humilité que celle que tout manager devrait avoir face au conflit de la confiance qui caractérise son rôle (Mintzberg, 2013). Ce conflit découle du constat que conduire exige de la confiance en soi, car personne ne voudrait être dirigé par quelqu'un qui, par exemple, veut éviter les problèmes ou qui aurait peur de prendre des décisions. Mais est-ce mieux de suivre un manager qui agit toujours sans le moindre doute et sans aucune crainte ? C’est peut-être pire pour Mintzberg. Dès lors, comment approcher le niveau de confiance optimal pour conduire une équipe sans tomber dans l'arrogance, si ce n’est en assumant sa fonction avec humilité ?
Auteur : Cornelis Neet
Sources :
- Eric Barends, Emilia Wietrak & Denise Rousseau, D. (2024). Intra-organisational trust: An evidence review. Scientific summary. Chartered Institute of Personnel and Development, London, 59 p.
- Karen S. Cook, Russell Hardin & Margaret Levi (2007). Cooperation Without Trust? Russell Sage Foundation Series on Trust, New York, 272 p.
- Ana Christina Costa, Robert A. Roe & Tharsi Taillieu (2001). Trust within teams: The relation with performance effectiveness. European Journal of Work and Organizational Psychology, 10 (3): 225-244.
- Kurt T. Dirks and Bart de Jong (2022). Trust Within the Workplace: A Review of Two Waves of Research and a Glimpse of the Third. Annu. Rev. Organ. Psychol. Organ. Behav. 9: 247–276.
- Amy C. Edmondson & Derrick P. Bransby (2023). Psychological Safety Comes of Age: Observed Themes in an Established Literature. Annu. Rev. Organ. Psychol. Organ. Behav. 10: 55-78.
- Ralph Waldo Emerson (2000). La confiance en soi et autres essais. Editions Payot et Rivages, Paris (Edition 2018), 233 p.
- Charles Feltman (2009). The Thin Book of Trust: An Essential Primer for Building Trust at Wirk. Thin Book Publishing, Bend, 68 p.
- Frances X. Frei & Anne Morriss (2020). Begin with Trust. Harvard Business Review (May-June), https://hbr.org/2020/05/begin-with-trust
- Ron Friedman (2021). 5 Things High-Performing Teams Do Differently. Harvard Business Review (October), https://hbr.org/2021/10/5-things-high-performing-teams-do-differently
- Ron Friedman (2024). How High-Performing Teams Build Trust. Harvard Business Review (January), https://hbr.org/2024/01/how-high-performing-teams-build-trust
- Jack R. Gibb (1978). Trust: A New View of Personal and Organizational Development. Guild of Tutors Press, Los Angeles, 320 p.
- Patrick Lencioni (2002). The Five Dysfunctions of a Team. Jossey-Bass San Francisco 256 p.
- Michael Lombardo & Robert Eichinger (1995). The Team Architect® user’s manual. Minneapolis, MN: Lominger Limited (2006 Edition), 847 p.
- Henry Mintzberg (2013). Manager, l’essentiel. Vuibert, Paris, 183 p.
- Cornelis Neet (2024). Les formes du feedback. Coachmap.ch Sàrl, https://coachmap.ch/blog/
- Marshall B. Rosenberg (2003). La Communication NonViolente au quotidien. Editions Jouvence, Saint-Julien-en-Genevois, 116 p.
- Patrícia dos Santos Vieira, Murillo de Oliveira Dias, Raphael de Oliveira Albergarias Lopes & Jorge Cardoso (2021). Literature review on trust, psychological well-being, and leadership applied to the workplace commitment. British Journal of Psychology Research 9 (2) : 20-37.
- Bruce W. Tuckman (1965). Developmental sequence in small groups. Psychological Bulletin. 63 (6) : 384–399.
- Emilia Wietrak & Jonny Gifford, J. (2024). Trust and psychological safety: An evidence review. Practice summary and recommendations. Chartered Institute of Personnel and Development, London, 18 p.
- Paul J. Zak (2017). The Neuroscience of Trust. Harvard Business Review (January-February), https://hbr.org/2017/01/the-neuroscience-of-trust
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