L'organisation d'inspiration duale
Dans une grande organisation fondée sur des entités hiérarchiques traditionnelles, le modèle dual proposé par John Kotter (2014) est une source d’inspiration pour promouvoir l’agilité et la transversalité au sein de la structure.
Ce modèle est fondé sur une distinction, au sein de l'organisation, entre les fonctions de management et de leadership. Le management organise, coordonne et dirige, alors que le leadership inspire, habilite et co-créée. Pour faire les deux en même temps et en équipe, Kotter recommande d’introduire deux structures opérationnelles fonctionnant en parallèle :
- La structure hiérarchique (à gauche sur le schéma), qui gère toutes les activités ayant besoin de stabilité (directives, procédures, processus, indicateurs).
- La structure en réseau (à droite sur le schéma), qui est imaginative et expérimentale. Elle intervient quand une adaptation rapide est souhaitée, voire de l’innovation (agilité, communication ouverte, prototypage, autonomie).
Les deux structures fonctionnent en parallèle, le côté hiérarchique étant connecté aux innovations pour co-construire l'ensemble de l’organisation avec le côté réseau.
La structure hiérarchique et sa direction générale, ou encore un comité exécutif, lancent l'initiative du réseau. Ce dernier est constitué de volontaires issus de l'organisation. Ces volontaires, vont, en plus de leurs missions de base et sous la conduite d’un groupe de contrôle, assumer les mandats donnés au réseau et travailler ensemble, en toute transparence.
Ce modèle, initialement conçu pour accélérer l’innovation et l’adaptation dans l’économie privée, peut également inspirer l’administration publique.
C’est ce que nous avons expérimenté à la Direction générale de l’environnement (DGE) du canton de Vaud.
Sous l’impulsion d’Annick Wagner (directrice adjointe du CEP à Lausanne jusqu'en 2024) et de Cornelis Neet (directeur général de la DGE jusqu’en 2024), ce modèle a été promu dès le début des années 2020, au sein de la DGE, pour donner un cadre formel à toute une série de structures transversales établissant des ponts entre les domaines métier de son organisation.
Parmi ces domaines d’action transversale on peut citer :
- L’élaboration de nouveaux processus nécessitant les contributions des trois directions métier de la DGE par des comités transversaux (pour le développement des énergies renouvelables par exemple).
- La promotion de la durabilité au sein de l’organisation par le réseau des répondants du développement durable de la DGE.
- Le développement et l’entretien d’un réseau interne de facilitatrices et de facilitateurs, au service des projets de la DGE.
Sur des thèmes évoluant rapidement comme le développement de l’énergie éolienne, l’exploitation des ressources du sous-sol ou la gestion intégrée des eaux, une capacité de coordination et de co-développement transversal de nouvelles solutions, voire de prototypage de nouveaux processus, est essentielle. Ce type de thématique fait en effet appel à des compétences, procédures et décisions émanant de chacune des grandes subdivisions que sont les directions et entités de support de la DGE.
Plus concrètement, le modèle a été appliqué en créant deux types de plateformes :
- Les plateformes transversales (énergies renouvelables, gestion intégrée des eaux, etc.) instituées par la direction de la DGE, qui en désigne les membres ; dans certains cas les cahiers des charges des membres de la plateforme peuvent prévoir une mission en lien avec ces plateformes.
- Les cercles (développement durable, facilitatrices et facilitateurs), constitués sur une base volontaire, sans ajout sur le cahier des charges ou documentation lourde.
Après quelques années de fonctionnement, plusieurs indices démontrent le succès de l’opération :
- Les plateformes et cercles créés évoluent et de nouvelles plateformes et nouveaux cercles sont proposés, ce qui rend l’organisation plus agile et plus transversale ;
- Ce mode de fonctionnement mobilise et motive les collaboratrices et collaborateurs, qui participent activement aux innovations ;
- Des leaders portant ces plateformes et cercles sont valorisés au sein de la structure, sans nécessairement occuper une fonction d’encadrement ;
- Des résultats tangibles en termes de coordination transversale sont constatés et l’offre en prestations dans les domaines émergents sont dynamisés.
D’autres exemples d’application de ce modèle au domaine public sont donnés par Stanton (2023) et Gorsuch & Boss (2024).
Dans le premier exemple, il s’agit de l’identification et de la gestion des risques encourus par une grande organisation gouvernementale, de manière à garantir coopération, transparence et transversalité à la démarche. Pour Stanton, le double système opérationnel qui découle du modèle dual constitue une manière optimisée de gérer les agences gouvernementales : tout en conservant les silos et leurs fonctions, le double système aide à surmonter leurs défauts en tant qu'obstacles à la circulation de l'information et à la coopération.
Quant à Gorsuch & Boss (2024), elles concluent leur article en soulignant que les structures mises en place dans leur domaine de la santé, qui est en constante évolution, sont essentielles pour améliorer les résultats des soins pour les patients, les cliniciens et l’organisation.
En définitive, l’intérêt de ce modèle est d'être une source d'inspiration en ce sens qu’il :
- fonde l’idée qu’une organisation qui ne peut se passer de l’organisation hiérarchique traditionnelle peut toutefois être complétée par une organisation plus agile, dynamique et transversale ;
- propose des principes de fonctionnement pour assurer cette complémentarité sous la forme d’un double système opérationnel ;
- constitue dès lors une référence pour reconnaître et légitimer cette forme d’organisation innovante, source d’agilité et de transversalité, par rapport au modèle traditionnel.
Comme le dit Kotter lui-même dans une interview de Bradt (2014) : " Les hiérarchies axées sur la gestion sont la façon dont nous gérons les organisations. Mais il n'y a aucun moyen d'obtenir une innovation révolutionnaire si le système est axé sur la réduction des risques. Le système traditionnel doit être bien géré, avec des tâches claires et, oui, des silos pour concentrer les efforts. À l'inverse, l'innovation révolutionnaire naît lorsque des informations provenant de divers endroits qui ne se rencontrent pas normalement se rencontrent et qu'une ampoule s'allume. Il s'agit de créer des points de connexion ".
Au moment où les thématiques à adresser par les politiques publiques exigent toujours plus de transversalité, d’efficience et d’agilité pour répondre à l’urgence des nouveaux enjeux et innover en termes de solutions, les exemples précités illustrent bien l’inspiration innovante que constitue le modèle de l’organisation duale pour les administrations publiques.
Auteur : Cornelis Neet
Sources :
- George Bradt (2014). Leverage John Kotter's 'Dual Operating System' To Accelerate Change In Large Organizations. Forbes : https://www.forbes.com/sites/georgebradt/2014/05/14/leverage-john…stem-to-accelerate-change-in-large-organizations/?sh=351f11beaef8
- Penelope F. Gorsuch & Karrie Boss (2024). Creating a Nurse-Led Collaborative to Support and Promote Evidence-based Practice: Elevating the Practice of Nursing. ANA-OHIO News Journal 2 (1) : 12-13 - https://www.myamericannurse.com/creating-a-nurse-led-collaborative-to-support-and-promote-evidence-based-practice-elevating-the-practice-of-nursing/
- John P. Kotter (2014). Accelerate: Building Strategic Agility for a Faster Moving World. Harvard Business Review Press, 224 p.
- John P. Kotter (vidéo) : https://www.youtube.com/watch?v=Pc7EVXnF2aI
- Thomas H. Stanton (2023). Public Management in an Uncertain Environment. Lessons from Enterprise Risk Management. IBM Center for The Business of Government, Insights Issue Brief, 15 p. https://www.businessofgovernment.org/report/issue-brief-public-management-uncertain-environment-lessons-enterprise-risk-management
Cet article fait partie d’une série de quatre - une tétralogie (1/4) - qui rendent hommage au Centre d’Education Permanente (CEP), et à Annick Wagner en particulier, pour leur contribution décisive à l’introduction d’un management créatif, innovant et agile au sein de la Direction générale de l’environnement (DGE) de l'Etat de Vaud entre 2013 et 2023.
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