Facilitation et administration publique
Pour développer l'intelligence collective dans l'administration publique, pourquoi ne pas former des facilitatrices et des facilitateurs au sein même de votre organisation ? Nous l'avons fait et voici pourquoi.
Les administrations publiques sont de plus en plus confrontées au besoin de consulter des groupes d’intérêt, de mener des démarches participatives ou encore de définir des solutions à des problèmes complexes en sollicitant l’intelligence collective au sein de groupes de travail. C’est notamment le cas de la Direction générale de l’environnement (DGE) du canton de Vaud.
Fondée en 2013, la DGE est issue de la fusion de trois services de l’Etat en charge des domaines de l’environnement et d’une unité des dangers naturels rattachée à un secrétariat général. Les différents organes composant la DGE, répartis sur une demi-douzaine de sites différents de la Ville de Lausanne et des communes environnantes, ont, dès l’automne 2021, connu une étape de regroupement qui a pu être réalisée sur le site du Centre Laboratoires d’Epalinges (CLE) et de la nouvelle Maison de l'environnement située à proximité, donc sur deux sites, mais proches l’un de l’autre.
Ce regroupement a été l’opportunité de mener différentes démarches réunies sous le nom de SynergieS. Les projets de ce programme visaient non-seulement à organiser les différents aspects pratiques de ce changement, comme les déménagements et la politique de mobilité, mais aussi à saisir cette opportunité pour mener des réflexions sur :
- l'organisation de certaines entités de la DGE
- les processus de fonctionnement interne
- le développement de la transversalité interne
Avec l’appui du CEP à Lausanne et d’Annick Wagner en particulier, nous avons imaginé des « chambres d’écho » à associer à chaque projet. Elles devaient permettre de réunir des personnes issues des différents unités de la DGE afin de représenter le personnel et interagir avec les équipes chargées de chacun des projets. Bien entendu, pour rendre ces chambres d’écho interactives, motivantes et productives, il fallait des facilitateurs pour les animer. Pour une dizaine de projets à mener, cela faisait passablement de personnes formées à solliciter…
Annick nous a alors proposé de les former nous-mêmes, au sein du personnel. C’est ainsi qu’a eu lieu, en novembre 2018 et avril 2019, la première formation de facilitatrices et de facilitateurs de la DGE. Pour assurer cette formation, Agathe Crespel, formatrice expérimentée en la matière s’est déplacée depuis Bruxelles. La formation de 3 jours, basée sur son approche Action, Représentation, Changement (ARC), est décrite dans son livre corédigé avec Chantal Nève-Hanquet (Crespel et Nève-Hanquet, 2018).
Cette formation a permis à des volontaires du personnel de la DGE de se former à faciliter un travail de groupe en suivant la séquence de 6 étapes de la démarche ARC :
- fixer les règles initiales de travail et le cadre de sécurité
- procéder à un échauffement pour mobiliser le corps et l’esprit, tout en identifiant ce qui relie les participants
- identifier collectivement les questions à traiter au sein du groupe
- choisir une technique de mise en action pour aborder la question retenue
- partager autour de l’expérience vécue au sein du groupe et, enfin,
- élaborer des pistes d’actions à mener à l’issue de cet exercice d’intelligence collective.
Cette offre en formation a été renouvelée chaque année depuis et ce sont plus de 50 membres de la DGE qui ont été formés jusqu’en 2023 ! Cette communauté de facilitation a par la suite été sollicitée à différentes reprises, non-seulement dans le cadre de la démarche SynergieS, mais également pour faciliter toutes sortes de démarches internes, dont des visioconférences qui ont réuni la quasi-totalité des collaboratrices et collaborateurs de la DGE en pleine crise du Covid 19, au coeur des périodes de confinement.
En outre, chaque année, des demi-journées de supervision des facilitatrices et facilitateurs de la DGE sont organisées. Elles ont pour but de produire un réel transfert dans la pratique, de continuer à ancrer les savoir-faire et savoir-être et de soutenir le développement de la culture de facilitation au sein de la DGE, tout en intégrant les personnes nouvellement formées.
Cette communauté maintient ainsi sa propre motivation et lui permet de découvrir progressivement de nouvelles techniques de facilitation. Ayant également suivi la formation, dans l’un des groupes que j’ai personnellement facilité sur plusieurs séances consécutives au sein de la DGE, j'ai pu enrichir les rencontres par des techniques complémentaires comme celles proposées par Lopez, Lemesle et Bourguignon (2016), les liberating structures de Lipmanowicz et McCandless (2022) ou encore la pratique du co-développement de Payette et Champagne (1997).
La communauté de facilitatrices et de facilitateurs est désormais l’une des richesses humaines de la DGE. Elle est source de transversalité, de motivation et de dynamique constructive pour accompagner les différents projets qui naissent régulièrement au sein de cette grande administration connectée aux enjeux stratégiques et évoluant rapidement que sont l’environnement et de l’énergie.
Depuis, la facilitation se développe aussi dans d’autres administrations publiques vaudoises et plusieurs autres services administratifs du canton de Vaud ont commencé à former des membres de leur personnel en ce sens.
Comme l’indiquent Crespel et Nève-Hanquet (2018), leur approche est notamment fondée sur l’héritage de Jacob Lévy Moreno, psychiatre de premier plan, qui a introduit les méthodes du psychodrame aujourd’hui pratiquées dans le monde entier. Les méthodes d’action inspirées par Moreno stimulent la créativité en libérant la spontanéité, qui permet de s’adapter à des situations nouvelles et difficiles (Ancelin Schützenberger, 2008). Ces méthodes sont également connues pour faciliter et soutenir les processus opérationnels et relationnels au sein des équipes (Apter, 2019) et contribuent ainsi à développer des caractéristiques propres aux équipes performantes, comme les échanges interpersonnels constructifs (Huszczo, 1996).
Alors, pourquoi ne pas former vous aussi des facilitatrices et des facilitateurs au sein du personnel de votre organisation ?
Auteur : Cornelis Neet
Sources :
- Ancelin Schützenberger, A. (2008). Le psychodrame. Payot, Paris, 497 p.
- Apter, N. (2019). The Unspoken in Teamwork. Applying Action Methods for the Benefit of Organizations and Their Teams. In Adam Blatner (ed.), Action Explorations: Using Psychodramatic Methods in Non-Therapeutic Settings, Parallax Productions : 29-50.
- Crespel, A. et Nève-Hanquet, C. (2018). Faciliter l’Intelligence Collective, 35 fiches pour innover, co-construire, mettre en action et accompagner le changement, Eyrolles, Paris, 254 p.
- Huszczo, G. E. (1996). Tools for team excellence. Getting Your Team into High Gear and Keeping it There. Davies Black, Palo Alto CA, 228 p.
- Lipmanowicz, H. et McCandless, K. (2022). Le pouvoir surprenant des Liberating Structures. Amazon Kindle Direct Publishing, France, 413 p.
- Lopez, S., Lemesle, D. et Bourguignon, M. (2016). Guide de survie aux réunions. Pearson France, 155 p.
- Payette, A. et Champagne, C. (1997). Le groupe de codéveloppement professionnel. Presses de l’université du Québec, 228 p.
Cet article fait partie d’une série de quatre - une tétralogie (2/4) - qui rendent hommage au Centre d’Education Permanente (CEP), et à Annick Wagner en particulier, pour leur contribution décisive à l’introduction d’un management créatif, innovant et agile au sein de la Direction générale de l’environnement (DGE) de l'Etat de Vaud entre 2013 et 2023.
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