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Tests de personnalité et recrutement

Faut-il utiliser des tests de personnalité lors d’un recrutement ? Si le marché de ces tests est florissant, les arguments de la recherche remettent en question leur validité. Utilisons-les donc pour ce qu’ils sont : des récits qui tentent de raconter la personne testée, et dont l’usage devrait se limiter à amorcer un dialogue avec elle.

Prisme du test

Vous êtes probablement comme moi si vous avez effectué de nombreux recrutements. Face à l’enjeu stratégique que constitue l’engagement d’une nouvelle personne au sein d’une équipe, nous effectuons volontiers un test de personnalité pour compléter les éléments de comparaison entre les candidats. Ceci pour pouvoir faire un choix aussi sûr que possible. Bien entendu, le résultat d’un tel test ne sera jamais déterminant et demeurera une aide à la décision parmi d’autres. Comme le soulignent Emery et Gonin (2009), si ces tests font partie des méthodes de sélection à l’engagement, il s’agit de les utiliser avec la plus grande réserve, l’investigation de la personnalité d’un candidat dépassant largement celui d’apprécier son adéquation au poste à pourvoir.

Nous ne sommes manifestement pas seuls à solliciter de tels tests. Selon Future Market Insights (2024), le marché de l'industrie mondiale des solutions d'évaluation de la personnalité a connu, 2019 à 2023, une croissance de 11,2%, atteignant 8’751,4 millions de dollars pour l’année 2023. Selon cette analyse, ce marché devrait encore croître au cours de la décennie à venir. Le nombre de tests sur le marché est par ailleurs étonnant. Selon Ash (2012), il y avait plus de 2500 tests disponibles au moment de la rédaction de son article pour BBC News.

Se forger une opinion sur la validité de ces tests n’est pas facile. La plupart des sociétés présentent leurs propres évaluations et il est rare qu’un test soit soumis à une analyse indépendante. La littérature scientifique sur cette question aborde principalement deux familles de tests, celle du leader du marché, le MBTI, et celle du test réputé le plus sérieux, le Big Five, auquel s’ajoute l’Hexaco, qui en constitue une évolution. Quelques recherches sur internet vous permettront de vous faire une idée de ce que vaut le MBTI, qui est largement décrié. Quant à la famille des tests issus du Big Five, elle est manifestement largement acceptée et utilisée par la communauté scientifique (Harrell, 2017 ; Chen, 2019). Si vous voulez les essayer, plusieurs sites spécialisés proposent de les effectuer en ligne, comme Psychologie-ge.ch ou Psychomedia.qc.ca.

Un récent article publié dans l’excellente revue Cerveau & Psycho revient sur ce sujet en soulignant que ces tests ne sont pas tous identiques et que certains fonctionnent mieux que d'autres. Les auteurs rapportent leur analyse comparative en ces termes : « le test des Big Five s’est révélé environ deux fois plus précis que le test de type MBTI pour identifier ces événements de la vie, ce qui situe l’utilité du test de type MBTI à mi-chemin entre la science et les approches ésotériques comme l’astrologie » (Stephens-Davidowitz et Greenberg, 2024).

Cet article ne commente toutefois pas d’autres tests, notamment ceux qui se présentent comme étant parmi les meilleurs du marché et qui sont sans doute ceux que vous avez, comme moi, utilisé en recrutement. Ces tests réputés proposent parfois une comparaison du profil des candidats avec les valeurs extraites d’une base de données constituée des résultats obtenus sur un très grands nombre de clients. Certains sont aussi présentés comme basés sur le Big Five et ils sont, pour la plupart, accompagnés par une forme d’attestation de leur validité et fiabilité. Les candidats sont donc comparés à des standards et interrogés au travers de prismes qui semblent a priori avoir été validés scientifiquement. En bref, vous êtes comme je l’ai longtemps été, rassurés en ce qui concerne la méthode.

Tests de personnalité

J’ai donc été particulièrement intrigué lorsqu’au fil de mes recherches, je suis tombé sur un livre aussi remarquablement écrit que documenté. Dans The Cult of Personality Testing, Annie Murphy Paul propose une relecture tout à fait passionnante de l’histoire des tests de personnalité, pour aboutir à leur remise en question complète, y compris ceux de la famille du Big Five (Paul, 2004).

Pourquoi ? Pour ce qui est du MBTI, je vous recommande la lecture du livre d’Annie Murphy Paul pour découvrir la sidérante aventure de sa genèse. Quant au Big Five, c’est à la racine même de sa conception que réside le problème : il est basé sur l’hypothèse lexicale.

Cette hypothèse postule que les caractéristiques de la personnalité sont traduites par le langage et, par conséquent, que les plus importantes de ces caractéristiques sont encodées sous la forme de mots. Paul (2004) décrit avec finesse les étapes historiques qui ont conduit à l’élaboration du Big Five, tout en soulevant, avis d’experts à l’appui, le biais fondamental que cette hypothèse introduit dans l’approche de la personnalité. Or, ce biais a depuis été confirmé par la recherche.

Ainsi, pour Srivastava (2010), le Big Five ne reflète pas la personnalité ou les différences individuelles fondées sur la biologie, mais une perception sociale et des processus culturels. Dans une étude très poussée menée au Canada sur un échantillon de 846 personnes âgées de 17 à 52 ans, Trofimova (2014) démontre que c’est la structure même du langage qui induit un fort biais dans la méthode. Il y a en effet, dans une langue, plus de descripteurs personnels liés à l'affiliation, à la sociabilité et aux émotions négatives que d’autres descripteurs de différences individuelles. Pour cette chercheuse du Collective Intelligence Laboratory au département de psychiatrie et de neurosciences comportementales de l’Université McMaster, le Big Five traduit au mieux des perceptions sociales, mais certainement pas des traits de personnalité stables. Son constat a par la suite été corroboré par les avis critiques de plusieurs chercheurs (Hamzelou, 2019), puis réaffirmé dans un article de synthèse pluridisciplinaire (Trofimova et al, 2022), qui place toute la question dans le contexte des recherches sur la neurobiologie de la personnalité.

Leurs fondements scientifiques étant remis en question, faut-il abandonner l’usage des tests de personnalité pour le recrutement ? Sans doute, mais soyons réalistes. Face à la multiplicité des tests et à la croissance de ce marché, la puissance du marketing aura sans doute l’avantage et les quelques lignes de ce blog n’y changeront rien. Voici donc l’alternative que je vous propose : utiliser les résultats de ces tests comme une amorce pour engager le dialogue sur la personnalité des candidats, en se fiant uniquement au résultat de l’échange qui en résulte.

En effet, comme le souligne Sadler-Smith (2014), les recruteurs doivent se forger une opinion par des entretiens et devraient pour ce faire avoir davantage recours à l'intuition et à l'analyse des informations sur les candidats, en les combinant. Il s’agit ainsi de rechercher davantage de données lorsque l'intuition de l'intervieweur dit « oui » mais que les données concrètes de ses observations disent « non », ou en d’interroger plus scrupuleusement les données lorsqu'elles disent « oui » mais que l'intuition de l'intervieweur dit « non ». C’est finalement bien cela qui doit avoir lieu lors de l’entretien de recrutement : approfondir l’appréciation des candidats par le biais du dialogue.

La proposition faite ici revient donc, pour autant qu’un test de personnalité soit souhaité et que la personne candidate y consente, à prendre, comme le recommandent Emery et Gonin (2009), les résultats de ces tests avec la plus grande réserve. Ceci en les limitant à être un point de départ pour évoquer leur personnalité avec les candidats. Bien entendu, il en découle que cet exercice doit être mené en gardant à tout moment à l’esprit que le résultat du test n’est, au mieux, qu’un reflet lointain, partiel et subjectif de la véritable personnalité. A titre d’exemple, on sait que les candidats mettent plus facilement en avant leurs qualités que leurs limites, voire leurs « défauts ». Le résultat d’un tel test peut ainsi être l’occasion d’évoquer ce dernier sujet et donc de guider la discussion sur le chemin de certains traits de caractère plus délicats à aborder.

En conclusion, si vous tenez vraiment aux tests de personnalité, utilisez les pour ce qu’ils sont : des récits qui tentent de raconter la personne testée, et dont l’usage devrait se limiter à amorcer un dialogue avec elle.

Sources :

  • Ash, L. (2012). Personality tests: Can they identify the real you? BBC News, https://www.bbc.com/news/magazine-18723950
  • Chen, A. (2019). How accurate are personality tests? Scientific American 30 (1): 8-10.
  • Emery, Y. et Gonin, F. (2009). Gérer les ressources humaines, 3ème édition revue et augmentée. Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 567 p.
  • Future Market Insights, Inc. (2024). Personality Assessment Solution Market. https://www.futuremarketinsights.com/reports/personality-assessment-solution-market
  • Hamzelou, J. (2019). World’s top personality test doesn’t really work – should we ditch it? New Scientist, https://www.newscientist.com/article/2209360-worlds-top-personality-test-doesnt-really-work-should-we-ditch-it/
  • Harrell, E. (2017). A Brief History of Personality Tests. Harvard Business Review 95(2): 63-63.
  • McCrae, R. R. and Costa, P. T. (1990). Personality in Adulthood. A Five-Factor Theory Perspective. New York: The Guildford Press. 2nd ed (2005), 268 p.
  • Paul, A. M. (2004). The Cult of Personality Testing. Free Press, New York, 320p.
  • Sadler-Smith, A. M. E. (2014),"With recruitment I always feel I need to listen to my gut”: the role of intuition in employee selection. Personnel Review 43 (4): 606 – 627. http://dx.doi.org/10.1108/PR-04-2013-0065
  • Srivastava, S. (2010). The Five-Factor Model Describes the Structure of Social Perceptions. Psychological Inquiry 21 (1): 69-75.
  • Stephens-Davidowitz, S. et Greenberg, S. (2024). Tests de personnalité. Comment mieux se repérer. Cerveau&Psycho 171 : 82-85 (également publié sous le titre Personality Tests Aren’t All the Same. Some Work Better Than Others, Scientific American, Feb 28, 2024).
  • Trofimova, I. (2014). Observer Bias: An Interaction of Temperament Traits with Biases in the Semantic Perception of Lexical Material. PLoS ONE 9(1): e85677. doi:10.1371/journal.pone.0085677
  • Trofimova, I. et al. (2022). What is next for the neurobiology of temperament, personality and psychopathology ? Current Opinion in Behavioral Science 45, 101143. https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S2352154622000493

Liens pour passer certains de ces tests réputés sérieux :

February 2025
September 2024
August 2024
June 2024
May 2024
March 2024
January 2024
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