Est-ce que le management public doit vraiment prendre modèle sur les méthodes du management privé ? C’est le genre d’idée reçue que j’ai plus d’une fois entendue dans mon parcours.

Se fondant sur une revue de la littérature de 1890 à 2023, Barbier & Tengeh (2023) décrivent trois grandes étapes de l’évolution de l’administration publique, qui est passée d’une époque traditionnelle à la « nouvelle gestion publique » entre les années 1980 et 2000, puis à la « nouvelle gouvernance publique ». Cette évolution est notamment marquée par l'adoption de pratiques du secteur privé.
Cela vaut-il aussi pour la pratique managériale ?
Sans doute pas pour Bower (1977), qui souligne que le management privé mesure son efficience par le profit et son efficacité par le positionnement sur le marché, des critères qui ne sont pas applicables aux organismes publics, dont le management doit avant tout atteindre des objectifs d’ordre politique. Il y a donc a priori une distinction à faire entre management privé et management public.
Desmarais et Abord de Chatillon (2010), qui se sont basés sur l'analyse de 908 profils de managers, constatent que les différences entre ces deux formes de management se limitent à des notions comme le contexte de la mission, les critères de performance ou les représentations que les managers se font de leur action.
Mintzberg (2013) propose pour sa part un modèle synthétique de la fonction de manager, applicable au public comme au privé, tout en soulignant la grande diversité des tâches et le caractère unique de chaque profil de manager. Ces profils dépendent en effet de la nature de l’organisation ou exerce le manager, de son style propre, des postures qu’il adopte en fonction des problématiques prioritaires du moment ou encore du degré de distribution des pouvoirs au sein de son réseau d’action. Ainsi, la question même de savoir si un manager est efficace dépend étroitement du contexte dans lequel il agit. Pour Mintzberg, les organisations prennent des formes diverses qui échappent à une simple distinction entre management public et privé. Elles se déclinent plutôt sur un gradient qui les situent entre trois modèles dominants : le public, le privé et un modèle dit « de pluralité » qui regroupe notamment les organisations non-gouvernementales (Mintzberg, 2016 et 2023).
Le management public se distingue aussi du management privé par sa finalité. Ainsi, Bartoli (2009) le définit comme « l’ensemble des processus de finalisation, d’organisation, d’animation et de contrôle des organisations publiques, visant à développer leur performance générale et à piloter leur évolution dans le respect de leur vocation ». Une autre définition est celle de Charest (2012) « le management public consiste en un ensemble de processus et d’outils visant à atteindre une performance optimale d’une organisation vouée au service public ».
Pour Gortner et al. (1994), dès lors que agences publiques agissent dans le cadre de mandats donnés par une autorité politique et dans le cadre de contraintes légales visant à assurer l’égalité des citoyens et l’uniformité des actions, la conception des programmes et procédures en est influencée et rend parfois même impossible l’idée de faire l’unanimité sur tous les objectifs fixés à cette organisation. En effet, les organisations publiques représentent en fait l’institutionnalisation du pouvoir dans la société. Si elles doivent, comme le privé, devenir plus productives et efficaces sous l’effet de la qualité de leur management, cela sera avec une finalité qui concerne l’ensemble des membres de la société. Ce dernier point évoque d’ailleurs un autre enjeu propre au management public qui est celui de l’implication publique et de la participation citoyenne à la gouvernance (Schafer, 2018).
De ces différentes sources on peut tirer la conclusion que le management diffère peu entre public et privé du point de vue de la fonction de conduite. En revanche, les caractéristiques de contexte et de finalité différencient clairement la mission du manager public. Ceci d’autant plus si l’organisation qu’il dirige est proche du pouvoir politique. Ces éléments mettent en évidence quatre caractéristiques propres à cette forme de management :
- Le cadre légal auquel est soumise sa mission
- Le pouvoir politique dont il dépend et qui lui confie ses mandats
- La présence de groupes de pression externes aux organisations publiques
- Le fait que contrairement à une organisation privée par exemple, qui doit rendre des comptes à un conseil d’administration donc à un cercle limité, l’organisation publique doit, en définitive, rendre des comptes au public en général.
Avec l'un de ses premiers modèles (
Managing on the edges), Mintzberg (1997) avait déjà mis en évidence non-seulement plusieurs de ces caractéristiques, notamment pour les gestionnaires proches du terrain, mais aussi le fait que l'action managériale publique est constamment au contact de nombreuses interfaces entre son rôle légal et opérationnel, les intérêts des groupes d'acteurs concernés et les enjeux politiques.
En résumé, si entre les secteurs public et privé la fonction de conduite du manager est similaire, le contexte dans lequel s'exerce cette fonction, les interfaces auxquelles elle est confrontée, ainsi que sa finalité sont eux, radicalement différents.
Auteur : Cornelis Neet
Sources :
- Barbier, L. & Tengeh, R. K. (2023). Literature review of public administration and good governance from 1890 to 2023. Jurnal Transformative 9 (1) : 43-65. https://transformative.ub.ac.id/index.php/jtr/article/view/303
- Bartoli, A. (2009). Le management dans les organisations publiques, 3e éd. Dunod, Paris, 405 p.
- Bower, J. L. (1977). Effective public management. Harvard Business Review 55 (2) : 131–140.
- Charest, N. (2012). Management public in : Le Dictionnaire encyclopédique de l’administration publique. Québec : ENAP.
- Desmarais, C. & Abord de Chatillon, E. (2010). Are there still differences between the roles of private and public sector managers ? Public Management Review 12 (1): 127-149.
- Gortner, H. F., Mahler, J. & Bell Nicholson, J. (1994), La gestion des organisations publiques. Presses de l’Université du Québec, Sainte-Foy, 587 p.
- Mintzberg, H. (1997). Managing on the edges. International Journal of Public Sector Management 10(3): 131-153.
- Mintzberg, H. (2013). Manager, l’essentiel. Vuibert, Paris, 183 p.
- Mintzberg, K. (2016). Organizations around Public, Private, Plural. Mintzberg.org, blog, June 3.
- Mintzberg, H. (2023). Understanding organizations…finally ! Berrett-Koehler, Oakland CA, 243 p.
- Schafer, J. G. (2018). A systematic review of the public administration literature to identify how to increase public engagement and participation with local governance. J. Public Affairs 1873. https://doi.org/10.1002/pa.1873
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